Béatrice


J'ai écrit une nouvelle pour un fanzine (ou pas). La voici:

 Béatrice

Ce matin, je dois aller chez le médecin. Dr Hornburg est mon spécialiste depuis une vingtaine d’années. Quand j’étais petit, c’était son père qui dirigeait le cabinet et je voyais souvent le petit Hornburg traîner dans le cabinet, jouant au docteur avec une vieille poupée mal fagotée.  Aujourd’hui n’est pourtant pas un jour comme les autres puisque j’ai rendez-vous avec le Dr Hornburg pour lui parler de ma femme.
Il faut savoir que ma femme est une araignée. Une araignée géante.

Comme presque tous ceux des arachnides, le corps de Béatrice est recouvert de poils courts et durs. Elle est par ailleurs plutôt gênée par cette situation et en a souffert durant son enfance. Elle possède quatre paires de pattes dont l’usage quotidien est, pour nous deux, un gain de temps inestimable. Béatrice peut-écrire huit lettres à huit personnes pour évoquer huit problèmes différents dans sa vie excitante d’araignée au foyer. Ses huits yeux lui permettent un accord parfait entre les mouvements de ses pattes et les tâches ménagères qu’incombent à une araignée fraichement mariée pendant que son mari se rend à son travail. Et comme les choses vont huit fois plus vite pour elle, elle passe le plus clair de son temps à tisser des toiles entre les murs et à me tricoter des pulls, des écharpes et des chaussettes pour la saison d’hiver. La nuit nous partageons le même cocon et nous nous échangeons de langoureux baisers lorsqu’elle m’étreint entre ces longues et drues pédipalpes. Mais n’allez surtout pas lui dire qu’elle a de jolies mandibules.

Le Dr Hornburg me reçoit dans son établissement flambant neuf. Ce n’est plus le même que j’ai connu quand j’étais petit et j’en suis ravi. Je détestais aller chez le médecin et je déteste ça aujourd’hui encore. J’y ai connu mes pires grippes, constipations et petites blessures. Je me souviens d’une tapisserie vieillotte qui décorait la salle d’attente et d’une collection de magazines pour femme vantant les miracles de tous les régimes possibles avant l’été, imaginés par une bande de «Docteurs Miracle » dont on entendrait sans doute plus parler à l’hiver. Je me suis toujours demandé où étaient passées les trois autres saisons dans cet isoloir. Maintenant, les murs sont blancs, les magazines ont été remplacés par des brochures et les photos d’un bateau appartenant au docteur ornent les murs. Ils portent tous le nom de ses enfants. Ou bien ce sont ses enfants qui portent leur noms.
«  Rob Becket ! s’exclame le docteur, quel plaisir de vous revoir.
-Bonjour docteur.
-Entrez donc je vous en prie. »
Le docteur m’invite à m’assoir et rejoint son siège. Il sort une paire de  lunettes de sa poche et me demande mon dossier médical.
«  Que se passe t-il aujourd’hui Rob ? »
J’hésite quelques secondes à lui répondre alors que j’observe sur le mur derrière lui une photo de famille prise quelque part dans un pays chaud. Le Dr Hornburg, sa femme et ses trois enfants semblent plutôt heureux. Le docteur sourit à pleine dents. Je ne peux pas m’empêcher de penser que je ne sourirais pas autant si j’avais déjà perdu tous mes cheveux à 40 ans.
«  Docteur, fis-je, c’est pour ma femme. Elle ne va pas bien en ce moment ».C’était vrai. Béatrice n’allait vraiment pas bien en ce moment. Elle refusait de se nourrir depuis des jours. J’ai d’abord pensé à un régime mais, chanceux comme je suis, je fais partie de ses hommes dont les femmes ne prennent pas un kilo même après le mariage. Quand Béa a refusé son plat préféré, une tête de vache servie avec des tripes de chat, j’ai cru qu’elle devenait végétarienne mais elle a eu un fou rire en m’expliquant qu’il était impossible qu’une araignée ne puisse pas se nourrir de viande. Il était donc impératif que je me rende chez le médecin.

« Votre femme est dépressive ? dit le docteur.
       -Je ne sais pas Mais qu’il s’agisse de viande, de légumes, de céréales ou de fruits, Béatrice ne veut rien manger. Elle s’enferme dans son cocon toute  la journée et n’en sort que lorsque je rentre du travaille.
        -Vous auriez-dû l’amener ici. Mais si elle ne souhaite pas sortir, je peux peut-être venir chez vous.
     - Merci docteur. Je souhaitais vous voir en privé avant de vous le demander.
     - C’est normal. Et puis je n’ai encore jamais rencontré votre femme. On la dit très solitaire et réservée. Je suis très curieux de pouvoir enfin discuter avec elle »

Le docteur et moi sortons du cabinet et nous dirigeons vers ma maison à pied, n’habitant qu’à quelques pas du cabinet. Sur le chemin nous discutons des femmes, de l’intêret qu’elles portent aux bijoux, à leur coiffure et leur hygiène. Ma Béa n’étant pas comme ça, je tente de contrer ses arguments, en vain. Il a marié une fille de bonne famille dont le seul prix d’une bouteille de parfum permettrait à Béatrice de manger autant de têtes de vache qu’elle le voudrait, si seulement elle voulait manger à nouveau.
Sur le pas de la porte j’arrête le docteur pour lui parler d’un point essentiel caractéristique de mon arachnide.
« J’oubliais docteur, Béatrice est une araignée.
         -Oh, Rob, toutes les femmes sont des araignées,dit-il en me tapant sur l’épaule. Vous verrez lorsque vous serez mariés depuis plus de vingt ans. Au début elles se recroquevillent, elles écoutent leur mari. Puis après quelques années elles tissent leur toile tout autour de vous et vous sucent jusqu’à vos derniers sous. » Il ne croyait pas si bien dire. La comparaison était amusante mais je ne faisais aucun lien entre Béa et la caricature déprimante que fit le docteur.

A peine après avoir franchi le seuil de la porte, le docteur remarqua que son pied s’était pris dans une sorte de fil blanc dur et gluant. Il tenta en vain de s’en défaire. C’est à ce moment là que Béa surgit d’un coin de mur où elle avait tissé son piège. Elle planta ses chélicères dans le crâne du docteur et entreprit rapidement de l’emprisonner dans un sarcophage de soie avec une grâce qui lui était propre.

Je me sentais un peu coupable d’avoir menti au docteur. J’imaginais déjà son corps reposant des heures au dessus de notre vieille horloge, se décomposant lentement, attendant le repas du soir que Béatrice préparerait en quelques secondes pendant que j’enlèverai mes chaussettes et enfilerai mes chaussons. Je mangerai une assiette de spaghetti à la bolognaise et Béatrice un sandwich aux intestins de docteur. C’était le prix à payer pour avoir épousé une femme dont la praticité, le confort et l’économie me permettait de vivre une vie meilleure. Béatrice en avait juste assez de manger des animaux et puisque le docteur me facturait toujours des honoraires exorbitants, nous nous étions mis d’accord pour que le docteur soit sa prochaine victime.
« J’enverrai un bouquet à sa femme ma chérie, dis-je, lorsque la police retrouvera ses os dans le parc.
      -Je vois que tu penses à tout mon amour, répondit Béatrice,j’essaierai de ne pas laisser une seule miette de peau. »
  

1 commentaire:

Unknown a dit…

Terrifiant! *U*

J'aime!! C'est plutôt bien écrit!